L'âme des plaines - Link

Le soleil venait à peine de se lever. L'aurore pointait tout juste le bout de son nez, offrant au ciel de superbes teintes chaudes, variant de l'orange et allant jusqu'au rose. C'était l'heure à laquelle je me levais tous les jours. Parce que du travail m'attendait et parce que chaque journée méritait d'être vécue. J'appréciais tant donner de mon être pour ces êtres qui me sont chers, les animaux du Ranch. Qu'il s'agisse des cocottes, des vaches ou des chevaux, tous avaient leur importance ici. Ils faisaient partis de la famille désormais.
Je terminais toujours mes tâches de la matinée par sortir les chevaux au parc. Je me rendis donc dans l'écurie et je fus instantanément accueillie par plusieurs hennissements impatients. Ils voulaient profiter de cette belle journée, tout comme moi. Ils avaient raison après tout. Alors je souris et murmurai à l'intention des équidés: Chhhht, ça vient. S'en suivi des souffles ronchons qui firent redoubler mon sourire. J'ouvris en grand la porte coulissante de l'écurie, la baignant du doux soleil qui réchauffait la terre. J'ouvris ensuite toutes les portes des boxes et un troupeau se précipita dans le parc. Ils avaient l'habitude de ce petit rituel tout comme moi. D'ailleurs, un seul d'entre eux avait pris le temps de m'attendre, sortant doucement de son boxe. Epona. Je lui adressai un doux sourire tandis que nous nous arrêtions afin que je lui caresse l'encolure. Depuis sa naissance, j'avais ressenti un lien fort avec cette jument. Peut-être était-ce parce qu'il s'agissait de ma première mise à bas d'un poulain ? Je n'en avais aucune idée. Mais cet amour semblait réciproque. Ca se lisait dans son regard.

C'est à ses côtés que nous sortîmes de l'écurie et une fois à l'extérieur, elle s'élança dans le parc au grand galop. Quant à moi, je partis m'installer sur la barrière du parc, observant les chevaux brouter, galoper, faire leur vie. Un fredonnement s'échappa de mes entrailles et je me laissai alors porter par la brise fraîche et matinale, me surprenant à rêver d'aventures.

De mes lèvres s'échappait des notes, simples et récurrentes. Je les connaissais par coeur. C'est comme si je n'avais jamais eu à l'apprendre. Elle m'était innée. J'ai souvent pensé qu'il pouvait s'agir d'un cadeau de ma mère. Qu'elle la chantait elle aussi quand elle me portait, ou qu'elle l'a fredonnée au moment de son départ, en me disant aurevoir. Pour autant qu'elle l'a fait. Pour autant qu'elle n'ait pas fui. Je n'avais aucun souvenir, aucune explication à son sujet. Ni mon père ni Ingo n'avaient décidé de m'en parler. Ils taisaient ce sujet, en faisant un tabou. J'avais appris à vivre avec. Mais grandir sans avoir la moindre information sur sa mère, c'était parfois compliqué. Compliqué de se forger une identité.
Cette chanson m'était rattachée. A mon coeur, mon âme. Je la chantais depuis si longtemps que même les chevaux semblaient l'avoir adoptée. Elle avait le don de les calmer. Particulièrement Epona qui réagissait toujours positivement à ces notes.

J'entendis des pas dans mon dos. Je n'y portai d'abord pas attention. Il devait s'agir d'Ingo, ou de mon père s'il avait décidé de prendre l'air. Je continuai de chanter en regardant les chevaux brouter paisiblement l'herbe du parc. Une légère brise caressait les marguerites, ma robe teintée de violette ainsi que ma chevelure rousse.
Puis, on prononça mon nom. Je m'arrêtai de chanter. Je réfléchis un instant. J'avais presque oublié cette fois. Elle résonnait dans ma mémoire tel un agréable écho. Gentiment, le visage de l'homme se redessina dans mon esprit et j'osai me retourner. Ca faisait si longtemps que je ne l'avais pas vu, je n'étais pas prête à découvrir tous ces changements. Et en effet, Link avait bien changé. Nous n'étions plus les enfants d'autrefois qui jouaient dans l'herbe verte. Nous étions des adultes désormais, responsables et réfléchis. Le temps des rêves et du jeux semblait bien loin, surtout quand je découvris l'homme que Link était devenu. Link... Ce prénom s'échappa entre mes lèvres, telle une révélation.
Je descendis de ma barrière et le pris dans mes bras, appréciant ces retrouvailles. Est-ce le vent du sud qui t'a mené jusqu'ici ? demandai-je dans un sourire. Ces derniers jours, ça n'était pas un vent froid qui balayait Hyrule mais bien un vent chaud, annonciateur de l'été. Je me desserrai de lui en lui adressant un sourire ravi de sa venue inattendue. Visiblement, je n'étais pas la seule heureuse de le revoir. La jument bai s'approcha de la barrière et passa la tête par-dessus, soufflant des naseaux afin d'attirer l'attention du Chevalier. Un lien indescriptiblement fort unissait les deux êtres et ce depuis leur première rencontre. Je voyais dans les yeux d'Epona que l'envie de partir voyager aux côtés du blond la tiraillait. Elle avait besoin d'aventures et de découvrir le monde. Elle était courageuse et fière, rien ni personne ne semblait pouvoir l'effrayer. Galoper les plaines d'Hyrule était son plus grand rêve. Je le sentais aussi fort que je sentais cette mélodie héritée de ma mère.

J'avais espéré si longtemps ces retrouvailles. Link et moi étions des amis d'enfance que la vie avait fini par séparer. Son mentor était un bon ami à mon père, et sans de réelle raison, il nous rendait souvent visite. Et nous, en tant que joyeux enfants d'une année de différence entre chacun, nous passions notre temps à jouer ensemble. Je faisais découvrir à Link mon monde, ce monde dans lequel j'avais toujours été baignée. Les animaux, le ranch, cette amitié qui me liait à chacun d'entre eux. Ils étaient tous très précieux pour moi, les seuls qui n'étaient jamais partis. Non pas que j'en veuille à Link de s'être éloigné de moi. Il avait une vie bien différente de la mienne... Dès son plus jeune âge, il était un garçon sans peur, sans faille, prêt à tout affronter. Moi, je semblais bien petite et bien timide à ses côtés. C'était toujours la même chose aujourd'hui. Mais nous étions des adultes, et nous avions gagné en maturité. Néanmoins, Link était toujours un chevalier sans peur et moi j'étais toujours la petite fille du Ranch Lon Lon... Cette petite vie qui me plaisait bien.

Un sourire timide naquit à mes lèvres lorsque mon ami s'excusa. Oui, c'était entièrement vrai, sa dernière visite commençait sérieusement à dater. Mais comment lui en vouloir ? Link avait une vie palpitante et remplie d'aventures. Il avait bien d'autres choses à faire que de me rendre visite. Et ce qui était bien avec lui, c'était que peu importe les années qui passaient, rien ne changeait entre nous. Nous étions toujours les meilleurs amis d'antan. Le jeune homme avait l'air lui aussi bien navré face à ses excuses mais je lui en prenais pas compte. Ne t'en fais pas, le rassurai-je d'un regard confiant. Tu dois avoir bien des choses à faire et tout un monde à parcourir. Je ne t'en veux pas.
Je retrouvais bien ici mon vieil ami. Link, toujours aussi agréable, présenta même ses excuses à Epona qui nous avait rejoint. Mais elle le pardonna rapidement. Ca se lisait simplement dans son doux regard qui avait le don de nous faire chavirer tous les deux. Cette jument était exceptionnelle. Une perle rare parmi tous les autres. J'adorais les autres chevaux également, mais Epona était réellement spéciale. Et elle méritait toute son attention.

Link m'expliqua la raison de sa venue, au-delà du fait de venir me voir. Il avait besoin d'une monture, au vu de futures missions et expéditions à travers tout le Royaume. Je connaissais la route pour Cocorico et quelques autres villages, mais jamais je n'avais pris réellement le temps de tout explorer. J'étais bien dans mon petit Ranch à l'abri des monstres et des dangers de l'extérieur. On avait eu essayé de me former au combat par le passé, mais ça ne s'était jamais montré vraiment révélateur... Mes joues s'empourprèrent sous ce compliment fort inespéré. Selon lui, il n'y a pas meilleure experte dans la région que moi-même.... Ca faisait plaisir et c'était à la fois inattendu. J'adressai une caresse à Epona qui ne quittait toujours pas le chevalier des yeux. Il y avait une connexion entre eux. C'était évident. D'ailleurs félicitations pour ton grade de chevalier ! Tu le mérites amplement ! Les nouvelles vont vite à Hyrule, même lorsqu'on ne traîne que très peu à la citadelle, lui confiai-je. Puis, me tournant vers les chevaux, je grimpai sur la barrière du parc, observant les chevaux galoper et brouter librement. Il ne faisait aucun doute que la jument idéale pour Link était Epona. Mais étais-je réellement prête à m'en séparer ? De ce fait, je pense qu'il te faut un cheval robuste et endurant, non ? demandai-je en perdant mon regard dans le paddock.